Le ciel et le légionnaire
On pourrait croire que c’est le titre d’un conte. Il n’en est rien. Simplement un parallèle que l’on pourrait oser faire. C’est risqué, mais à y regarder de plus près…
Le monument aux morts d’Aubagne exhibe de sa dorure les pays où la Légion a combattu tout au long de son Histoire.
A Sidi Bel Abbés, nos anciens débutaient leur carrière au pied de ce monument et y revenaient, inlassablement pour y terminer leur parcours.
Pierre par pierre, ce symbole fut démonté et ramené à Aubagne où le légionnaire d’aujourd’hui débute et termine son temps passé à la Légion. Au pied de la Boule, comme disent certains.
On n’y voit que l’or symbolisant ces combats de cette troupe venue de partout pour combattre partout. Il n’y a rien de plus fort.
Mais que serait un globe si chaque pays d’où est issu un légionnaire était représenté par une petite lueur ? Cette boule brillerait à coup sûr de mille feux tant l’universalité de la Légion est grande. Une véritable étoile.
Ciel de l’enfance.
Venant de toute la Terre, le légionnaire transporte avec lui ses souvenirs et ses espoirs, ses joies et ses déceptions. Le ciel de son enfance l’accompagne : celui du Sud marqué de la Croix, celui du Nord illuminé par les aurores.
Sa jeunesse fut emmaillottée dans des langes chauds, alors qu’un d’autre n’aspirait qu’à un peu de fraîcheur « sous le Soleil brûlant d’Afrique ».
Dans sa première section à Castelnaudary, il réalise combien la Terre recèle de différences entre les hommes : langage, couleur de peau, religion, traditions, façon de manger, culture.
Bref, une diversité absolue entre ces personnages qui vont devenir des légionnaires pour ne faire qu’une seule Légion.
Diversité avez-vous dit ?
Mais le ciel, c’est bien cela. Espace d’une froideur mortelle, étoiles arborant fièrement des couleurs différentes, présence de toutes formes : des comètes aux queues arrondies et filiformes, des astéroïdes grotesques au point que les astronomes les baptisent du nom peu flatteur de patatoïdes, galaxies spirales, barrées, irrégulières. Planètes bleues, rouges, ornées d’un anneau.
Je reverrai toujours, lors de mon premier séjour à Castelnaudary, chef de section à l’instruction, l’étonnement de certains EV découvrant pour la première fois les flocons de neige. Emerveillés autant qu’incrédules.
J’avais comme adjoint un Indien, le sergent B. Lui par contre, faisait un constat amer : Castel, c’est comme chez moi en Inde, il pleut tout le temps à cause de la Mousson !
Il exagérait un tout petit peu. Un an plus tard, en Guyane, le hasard voulait que son cousin devienne aussi mon adjoint. Et là, il pouvait comparer la quantité d’eau déversée. C’était autre chose. Le ciel nous tombait sur la tête.
Ciel du voyage.
Afin de porter le Képi Blanc, certains ont fait un long voyage. En traversant les pays, les continents pour arriver à Aubagne, combien de nuits passées dehors, sous les étoiles, non pas celles inscrites sur la façade des hôtels ou palaces, mais les vraies, celles des Hommes des cavernes, des Pharaons ou des Rois mages. Un baldaquin fantastique pour un lit de misère.
Peut-être que la Lune, sous son fin-croissant, semblait lui sourire, promesse de jours meilleurs à la Légion.
Il n’a certainement pas regardé le ciel tels les Rois mages pour se guider, mais sans doute pour se conforter dans sa conviction, faisant table rase du passé et se tourner vers un nouvel avenir.
Tel Moïse avançant dans le désert, poussé par une force invisible, il marche vers son destin accompagné seulement de myriades d’étoiles. Avoir le ciel pour témoin.
Ciel vu à la Légion.
Qui mieux que toi légionnaire, a connu tous les ciels que l’on peut imaginer.
A chaque instant de ta vie, il est présent avec toi, même si pour certains, c’est de façon inconsciente.
Lors de tes soirées de détente au bord du lagon de Mururoa, ou t’accompagnant de sa pâle lueur pendant tes gardes dans le désert. Là-bas, les étoiles semblent si proches qu’il suffirait de tendre le bras pour les caresser du bout des doigts.
Le ciel de Mayotte est si pur que parfois les étoiles semblent surgir des eaux et de l’autre côté, s’y précipiter.
Comment ne pas évoquer celui de Djibouti ? A Mascali, à la plage du Héron ou dans le quartier de Gabode, certaines nuits sont féériques tant les étoiles sont nombreuses. Quelques nuits passées à Yoboki, Arta ou Ouéah furent les plus belles de ma vie d’astronome amateur ou amateur d’astronomie. Jamais en Métropole, je ne reverrai cette magnificence.
Aujourd’hui, les légionnaires de la 13 ne bénéficient plus de ce ciel de Djibout, mais je suis sûr, pour y aller faire des soirées, que le Larzac est riche en objets de toute sorte, amas d’étoiles, galaxies, nébuleuses…
Je pense à nos autres camarades légionnaires qui ont la curiosité de lever la tête, la nuit, pendant les marches, les gardes, le bivouac, les exercices.
Le plateau d’Albion pour le sapeur légionnaire du 2°REG n’est pas mal non plus. De plus, il est montagnard. Alors, au-dessus de 1 000 m d’altitude, ce n’est pas à quelques étoiles qu’il a droit, mais à plus que toutes les étoiles des généraux de l’Armée française réunis.
Pour avoir construit un télescope au 6, le ciel de l’Ardoise permet également de se plonger vers l’immensité céleste, grâce au Mistral qui nettoie le ciel.
Carpiagne, Calvi bénéficient aussi d’un ciel plus agréable que s’ils étaient en garnison à Colmar ou Douarnenez.
Dans cette revue d’effectifs des ciels de légionnaires, comment ne pas évoquer le ciel au moment suprême de quitter le monde des vivants pour rejoindre, selon la formule consacrée, le dernier bivouac. Il est le dernier refuge pour une dernière pensée, une dernière communion, une dernière prière.
Après la fureur des combats, loin de l’endroit qui l’a vu naître, une terre lointaine va accueillir sa dépouille : il aura la boue pour sépulture et le ciel pour pierre tombale. Nos anciens du RMLE dans les tranchées, nos héros d’Indochine sur les collines de Dien Bien Phu.
Ayant tout donné, ils n’avaient alors que le regard des étoiles pour les accompagner dans leur ultime sacrifice. Que le ciel les bénisse.
Ciel du retraité.
Le temps a passé. Quinze ans il a fait ce dur métier. Aubagne a vu ses adieux à l’Institution. Resté en France ou revenu sur sa terre natale, il gardera à jamais cette marque indélébile de son temps à la Légion. Marqué au fer rouge. A la grenade à sept flammes.
Sa présence dans les amicales d’anciens confirme qu’il n’a pas oublié ces moments parmi ses camarades venus de partout. A-t-il oublié certains qui l’ont quitté en chemin ? Tourne -t-il ses yeux vers le ciel pour personnifier telle ou telle étoile en se disant : c’est mon ami qui m’attend.
Avec le temps, la liste de ceux qui quittent le train de notre vie devient de plus en plus longue. C’est une véritable litanie.
Je reste persuadé que sans être devenu un astronome acharné, certains de ces hommes ne peuvent s’empêcher, lors de balades nocturnes de lever la tête de d’échanger quelques pensées dans des souvenirs nostalgiques, comme une communion secrète, sans intermédiaire.
Le ciel devient l’interface pour parler à ceux laissés en partant.
Souvenirs
En rembobinant le film de notre vie comme nous le faisons tous arrivés à son terme, certaines images ressurgissent du passé.
Comment pourrai-je oublier le caporal P, un Norvégien de ma section au 3°REI. Nous étions à Saut Maripa, sur l’Oyapock, avant de poursuivre vers Camopi. La nuit était merveilleuse et même si le fleuve dans ses remous émettait un doux chant digne d’une berceuse, nous n’avions pas sommeil. Pendant une grande partie de la nuit, j’eus le privilège d’un tête-à-tête avec mon caporal qui me parla de son enfance, de sa famille, à demi-mots, en évoquant le souvenir des aurores boréales. Grand moment de nostalgie. Je sentais bien qu’à travers ses récits, c’étaient ses origines, sa vie, qu’il évoquait. Il y avait bien longtemps qu’il n’avait dû le faire.
Le ciel n’était qu’un alibi. C’est le moment privilégié où il suffit d’écouter, discret, respectueux. Nous ne sommes que spectateur de ces moments où les légionnaires s’épanchent. Que de messages passés ce soir-là avec le ciel pour témoin. Y repenser ne fait qu’amplifier cette sensation d’avoir vécu des moments exceptionnels parmi ces Hommes.
En 2005, je créais « Ciel, mon ami », mon association. Et j’avais la chance de « recruter » Julien Lison, adjoint pendant de nombreuses années de monsieur Coudié, patron de la MPLE. Pendant 11 ans il m’a accompagné lors de nos soirées publiques.
Un peu comme le scout fait sa BA, le croyant sa prière, nous, pas un seul soir nous n’avons manqué d’évoquer, un bref instant, nos souvenirs Légion : notre bain de jouvence.
Avec mon association, tous les samedis de l’été, nous sommes sur la plage de Marseillan plage. Il y a déjà de nombreuses années, je montrais le Soleil aux personnes présentes. Passe à côté de moi un homme qui sifflotait le chant du 2°REP. Je reconnaissais alors un caporal-chef avec qui j’étais à la 13, puis à Aubagne. Il possède un appartement juste à côté de l’endroit où nous nous installons. Depuis des années, j’ai la chance de pouvoir le revoir et, avec sa famille, avec ses amis, il me fait l’honneur de venir m’écouter pendant mes causeries. Merci caporal-chef.
Un autre petit souvenir de la concomitance de mon temps à la Légion et de ma passion.
A Aubagne, chef du Service général, les soirs de premier quartier de Lune, j’installais à la sortie du quartier, devant mon bureau, le télescope et c’était presque une obligation pour les légionnaires sortant de Viénot de regarder les cratères, les montagnes de la Lune. J’éprouvais toujours un réel plaisir en voyant les yeux s’illuminer en découvrant ce spectacle magique de la Lune si proche qu’on aurait pu la toucher.
Dans cette même période, en octobre 1996, j’avais eu cette chance inouïe de savoir qu’une comète venait d’être découverte. Elle était très loin de nous et n’avait pas encore déployé sa chevelure. Elle n’était qu’une vilaine boule. Pendant tout l’hiver, nous avons observé avec un groupe d’habitués l’arrivée de cette comète. En avril 1997, elle était visible à l’œil nu, magnifique dans le ciel. C’était Hale Bopp, la comète la plus merveilleuse de ces dernières décennies.
Légionnaire mon ami, toi qui lis cet article, maintenant que tu files les beaux jours de la retraite, prends le temps de quitter l’écran de la télé. Un ciel merveilleux t’attend dehors. Prends ta polaire, mets tes jumelles en bandoulière, le bonnet sur la tête. Eloigne toi des lumières parasites de nos villes ou attends que le maire de ton village, par souci d’économie, éteigne les lampadaires.
Plonge-toi parmi ces beautés stellaires, où se mêlent énigmes, brillances, obscurités. Malgré la diversité, ce n’est qu’une unité. Comme la Légion.
Rembobine à ton tour le film de ta vie, revois-toi sur ces terres où tu n’avais que le ciel à qui confier tes joies, tes peines.
Telle la Légion, le ciel n’est pas figé, il se renouvelle, sans cesse.
Qu’il continue d’éclairer ta route de la puissance de ses étoiles telle la voie lactée ou selon son imagination comme Van Gogh. Alors, il sera devenu ton ami.
Sûr que les scientifiques vont hurler. Mais personne ne nous empêchera de penser, à l’instar des héros de l’antiquité qui se retrouvaient immortalisés dans le ciel, que ces étoiles ne sont que le souvenir de nos anciens camarades qui ont tout donné au point de devenir immortels à leur tour aux yeux de l’Humanité. Dans le respect que nous leur devons.